
Comme son nom l’indique, le grand requin-marteau (Sphyrna mokarran) est la plus grande des neuf espèces de requins-marteaux recensées à ce jour dans le monde. Victime du « shark finning » ou « pêche à l’aileron« , ses effectifs déclinent rapidement : l’UICN classe l’espèce en danger d’extinction (EN).
Présentation du grand requin-marteau
Alors que la tête des autres espèces de requins-marteaux est de forme convexe, légèrement arrondie, celle de Sphyrna mokarran est très droite et aplatie, seulement marquée par une encoche au centre. Cette forme lui confère une large portance : en « s’appuyant » sur l’eau, il est capable d’effectuer des virages très serrés. Grâce à la position de ses narines et de ses yeux, positionnés à chaque extrémité du « marteau », ce grand requin est également doté de grandes capacités olfactives ainsi que d’un champ de vision proche de 360° : il est capable de voir simultanément au-dessus et au-dessous de lui. Enfin, Sphyrna mokarran possède un sixième sens redoutable : des capteurs le rendent très sensible aux champs électromagnétiques produits par tout organisme vivant. Grâce à cela, il peut naturellement détecter les raies enfouies sous le sable, au fond des mers.
Ces différentes caractéristiques physiques font du grand requin-marteau un prédateur hors pair, occupant le sommet de la chaine alimentaire. Immunisé au venin des raies léopards, il en fait son plat de prédilection mais chasse aussi des poissons osseux, de plus petits requins ou même, plus rarement, des crustacés. Plusieurs cas d’attaques sur l’Homme ont par ailleurs été recensés, mais la dangerosité de ce requin pour l’Homme est souvent exagérée : avec une taille oscillant entre 4 et 6 mètres de long, un poids avoisinant 450 kg et une nageoire dorsale particulièrement développée, le grand requin-marteau impressionne, voire effraie. En réalité, les morsures sont rares, et des plongeurs ont souvent pu nager à proximité de spécimens adultes. Le « Fichier international des attaques de requins » (International Shark Attack File) recense par exemple 668 attaques « non provoquées », ce qui signifie que la victime n’a à aucun moment cherché à toucher l’animal, de 34 espèces différentes. Parmi elles, seulement 17 morsures de requins-marteaux sont avérées, et aucune ne s’est révélée mortelle.
Localisation et habitat
Le grand requin-marteau dispose d’une très grande aire de répartition : il évolue dans les eaux tempérées à tropicales des océans Pacifique, Indien et Atlantique, ainsi que dans des régions aussi variées que le Golfe du Mexique, la mer Rouge, la côte de Madagascar, la Grande Barrière de corail australienne… et même la Méditerranée, au large du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie !
Sphyrna mokarran est un requin pélagique, ce qui signifie qu’il évolue généralement en pleine mer, entre la surface et 100 mètres de profondeur. Dans certaines régions, il est tout de même possible de l’apercevoir à proximité des côtes.
Les menaces qui pèsent sur ce requin
Si estimer la population mondiale de Sphyrna mokarran est un exercice difficile, il est clair que les effectifs décroissent. Selon l’UICN, en Afrique de l’ouest, la population aurait décliné de 80 % au cours de 25 dernières années. Au nord-ouest de l’Atlantique, les pertes pourraient être supérieures à 50 % en dix ans. En Méditerranée, le tonnage de requins-marteaux débarqués dans les ports aurait chuté de 99 % en deux siècles. La surpêche est la principale menace pesant sur l’espèce, mais la dégradation de son habitat doit aussi être maîtrisée afin d’assurer sa survie sur le long terme.
Le « shark finning » et la soupe d’ailerons
Le grand requin-marteau est principalement victime de la surpêche et du braconnage. Paradoxalement, sa chair n’est que rarement utilisée : le plus souvent, seules ses grandes nageoires intéressent les pêcheurs, car celle-ci a une forte valeur commerciale sur le marché asiatique. En effet, différents pays comme la Chine ou le Vietnam raffolent de la soupe d’ailerons de requins ; le plat y est considéré comme un mets de luxe et est servi pour les grandes occasions, y compris pour des repas officiels du gouvernement. Sphyrna mokarran est ainsi une cible de prédilection pour les pêcheurs : 6 % des ailerons de requins vendus à Hong Kong appartiendraient à des grands requins-marteaux.
Ce marché, qui pèse plusieurs centaines de millions de dollars, conduit à un type de pêche particulièrement polémique : le « shark finning« , ou « pêche aux ailerons ». Dans certains pays, une fois le requin remonté sur le bateau, toutes ses nageoires sont coupées au couteau et l’animal est immédiatement rejeté à l’eau. S’il ne meurt pas rapidement des suites de l’hémorragie, il est tout de même condamné : privé de ses nageoires, incapable de se déplacer et de respirer, il ne peut survivre.

Soupe d’ailerons de requins
Le « shark finning » étant une pratique relativement opaque, mêlant corruption et braconnage, il est difficile d’obtenir une estimation fiable du nombre de requins pêchés chaque année, et plus encore du nombre de grands requins-marteaux victimes de cette pratique. Selon l’ONU, officiellement, les importations de nageoires de requins dans le monde ont oscillé entre 13 et 17 millions de tonnes entre 2004 et 2007. Plus de 75 millions de requins seraient pêchés chaque année, et les défenseurs de l’environnement estiment que ce chiffre pourrait être nettement sous-évalué.
Même lorsque le grand requin-marteau n’est pas spécifiquement la cible de la pêche, il présente un important taux de mortalité lié aux activités maritimes : neufs individus sur dix meurent après avoir été percutés par un bateau ou avoir été capturés accidentellement par des palangres, des filets ou des lignes de traîne. Il est probable que certains spécimens blessés pourraient survivre mais, parce qu’ils possèdent une forte valeur commerciale, ils sont achevés par les pêcheurs. Au-delà des nageoires, une recherche sur le site eBay en décembre 2012 avait par exemple permis de trouver des dizaines de dents ou de mâchoires en vente, parfois à plus de 600 dollars.
La pêche de loisirs fait également peser une menace sur l’espèce, mais les conséquences de celle-ci restent très mesurées face à la pêche industrielle.
Dégradation de l’habitat
Le grand requin-marteau est très sensible aux activités anthropiques. Or, environ 75 % de l’humanité pourrait vivre à moins de 100 km des côtes d’ici 2035 : les villes côtières croissent très rapidement, ce qui se traduit notamment par l’augmentation des projets de constructions, des déversements de déchets et du trafic maritime. Les eaux se chargent en métaux lourds, en pesticides et en matières plastiques, ce qui perturbe la faune aquatique. A ce phénomène s’ajoute le réchauffement climatique : la hausse des températures pourrait dégrader encore davantage l’habitat du grand requin-marteau.
Conservation
Comme le requin-marteau commun (Sphyrna zygaena) et le requin-marteau halicorne (Sphyrna lewini), le grand requin-marteau est inscrit sur l’Annexe II de la CITES depuis septembre 2014, ce qui signifie que son commerce doit être « étroitement contrôlé » afin de ne pas pousser l’espèce vers l’extinction.
S’il n’existe que peu d’efforts de conservation spécifiquement dédiés au grand requin-marteau, l’Europe, les Etats-Unis, le Brésil et bien d’autres ont interdit le « shark finning » à partir des années 2000. Bien que la loi ne soit pas toujours respectée, cette mesure a contribué à diminuer la pression que subit l’espèce : contraindre les pêcheurs à rentrer au port avec les carcasses entières a réduit la place disponible dans les congélateurs des bateaux. En parallèle, les mentalités évoluent en Asie : entre 2011 et 2013, la consommation de la soupe d’ailerons en Chine aurait chuté de 50 à 70 %. Plusieurs parcs d’attractions, chaînes d’hôtels, restaurants, universités ont supprimé ce plat de leurs menus et, en 2011 et 2012, le député chinois Ding Liguo est allé jusqu’à proposer d’interdire purement et simplement le commerce d’ailerons de requins. Si l’idée n’a pas abouti en Chine, le gouvernement de Hong Kong a annoncé en 2013 qu’il retirait ce plat traditionnel de toutes les réceptions officielles.
Enfin, d’autres pays vont plus loin. Aux Etats-Unis par exemple, dans certains Etats comme Hawaï, Washington ou la Californie, la simple possession d’ailerons de requins est interdite. En 2011, les îles Marshall, en Océanie, ont créé le plus grand sanctuaire de requins de la planète, sur près de 2 millions de kilomètres carrés. Les Palaos, le Honduras, les Maldives, les Bahamas ont également établi dans leurs eaux des zones interdites à la pêche au requin.
Reproduction
Contrairement à beaucoup d’espèces de requins, qui préfèrent s’accoupler à proximité des fonds marins, les couples de Sphyrna mokarran s’unissent à la surface. La femelle reste gestante durant onze mois environ et possède un placenta afin d’alimenter sa portée. La mise au monde a ensuite lieu à la fin du printemps ou durant l’été, ce qui correspond aux mois de juillet-août dans l’hémisphère nord et décembre-janvier dans l’hémisphère sud. Le nouveau-né mesure alors entre 50 et 70 cm, est autonome et peut être reconnu par la forme de sa tête : le marteau est arrondi et ne s’aplatira qu’avec les années.
La maturité sexuelle du grand requin-marteau est atteinte lorsque les mâles mesurent environ 2,5 mètres pour 50 kg et lorsque les femelles mesurent environ 3 mètres pour 40 kg. L’espérance de vie de l’espèce oscille entre 20 et 30 ans, et une femelle ne peut se reproduire que tous les deux ans ; ce cycle de vie lent rend Sphyrna mokarran très sensible à la surpêche.
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