L’hirola, de son nom scientifique Beatragus hunteri, est probablement l’antilope la plus menacée d’Afrique : alors que ses effectifs s’élevaient à 15 000 individus en 1970, ils sont aujourd’hui compris entre 500 et 600, ce qui représente une chute d’environ 95 %. L’UICN classe l’espèce en danger critique d’extinction.
Description
Beatragus hunteri est une antilope de taille moyenne : un adulte peut atteindre 100 à 120 cm au garrot pour un poids oscillant entre 75 et 118 kg. Ses cornes mesurent quant à elles 45 à 70 cm : très pointues, en forme de lyres, elles sont ornées d’anneaux blancs sur les deux tiers de leur longueur et sont de redoutables armes lors des affrontements entre mâles.
La robe ocre de l’hirola se ternit avec l’âge : le poil des plus vieux individus tire sur le gris. Le ventre, l’intérieur des oreilles et la queue, qui mesure par ailleurs entre 30 et 40 cm, sont blancs, tout comme les surprenantes « lunettes » qui ornent la face allongée de ce bovidé : les yeux de l’hirola sont cerclés de blanc et une barre blanche traverse le front afin de les relier. Les glandes pré-orbitales, où les larmes se forment, sont par ailleurs clairement visibles juste au-dessous des yeux, ce qui vaut à cette espèce menacée le surnom d’ « antilope à quatre yeux« .
Enfin, l’espèce présente un dimorphisme sexuel assez peu prononcé : les mâles sont légèrement plus grands que les femelles, leur robe est plus sombre et leurs cornes sont plus épaisses.
Localisation et habitat
Dans les années 1970, l’aire de répartition de l’hirola s’étendait sur environ 18 000 km² au Kenya et et 20 000 km² en Somalie. Petit à petit, ce territoire a fondu pour atteindre un niveau critique : aujourd’hui, les troupeaux d’hirolas occupent un territoire de moins de 8 000 km², soit à peine les deux tiers de l’Île-de-France. La principale population compte entre 400 et 450 individus et se trouve à la frontière séparant le Kenya et la Somalie, tandis que l’unique autre troupeau, dans lequel environ 75 têtes sont recensées, évolue dans le Parc National de Tsavo East au Kenya.
Les troupeaux d’hirolas évoluent dans des plaines herbeuses arides et faiblement arborées ; ils évitent généralement le couvert des arbres. Les hordes sont par ailleurs sédentaires : les mâles sont attachés à leur territoire, qu’ils délimitent grâce à leurs excréments et aux sécrétions de leurs glandes suborbitales. Ils peuvent également marquer la végétation et le sol à l’aide de leurs cornes et de leurs sabots.
Menaces
On estime que, dans les années 1970, environ 15 000 hirolas vivaient sur l’ensemble de leur aire de répartition. A l’heure actuelle, du fait de multiples menaces, il reste à peine plus de 500 individus à l’état sauvage et aucun couple reproducteur en captivité : l’espèce est au bord de l’extinction.
Compétition avec l’élevage
Le déclin de Beatragus hunteri s’explique en grande partie par le développement de l’élevage bovin. Les troupeaux domestiques et les hirolas partagent souvent le même habitat et le même régime alimentaire, ce qui engendre une concurrence pour l’accès aux ressources. Les épisodes de sécheresse, récurrents au Kenya et en Somalie, réduisent encore les réserves d’eau et de nourriture, ce qui menace d’autant plus gravement les populations d’hirolas.
Il arrive toutefois qu’une cohabitation se mette naturellement en place : Beatragus hunteri est souvent aperçu à la suite des troupeaux domestiques, car ces derniers laissent derrière eux une herbe courte, très appréciée de l’antilope. Malheureusement, cette proximité entre espèces facilite la transmission des maladies. La chute vertigineuse des effectifs de l’hirola, entre 1983 et 1985, coïncide par exemple avec l’émergence de la peste bovine. Si l’infection est considérée comme éradiquée depuis plusieurs années sur l’aire de répartition de Beatragus hunteri, les effectifs de l’espèce ne sont toujours pas repartis à la hausse.
Braconnage et dégradation de l’habitat
Selon Hirola Conservation, une ONG kenyane dont l’objectif est de sauver l’espèce, environ 5 000 éléphants et 100 rhinocéros noirs étaient recensés sur l’aire de répartition historique de l’hirola dans les années 1970. Dix ans plus tard, ils avaient pratiquement disparu, victimes du braconnage. L’extinction locale de ces « méga-herbivores » a entraîné une grande modification du paysage : une enquête satellite révèle qu’entre 1985 et 2012, la couverture forestière dans l’habitat naturel de Beatragus hunteri a augmenté de près de 300 % ! Or, les hirolas préfèrent les grandes plaines dégagées et se sentent en danger sous le couvert des arbres : leur territoire a donc été sensiblement réduit au cours des dernières décennies.
Enfin, comme beaucoup d’antilopes, l’hirola a été et continue à être une victime directe de la chasse et du braconnage, principalement du fait de la pauvreté et de l’instabilité politique dans la région : la Somalie est notamment le théâtre d’une guerre civile depuis 1991. Cependant, aujourd’hui, la principale prédation subie par l’espèce ne vient plus de l’Homme mais des grands carnivores : en 2010, les lions, léopards, guépards, chiens sauvages d’Afrique ont prélevé une vingtaine d’individus alors que l’espèce en comptait environ 450.
Mis bout à bout, ces différents éléments pourraient expliquer que les effectifs de l’espèce n’augmentent pas malgré l’éradication de la peste bovine. Beatragus hunteri fait face à des pressions de natures très diverses, ce qui complique la tâche des défenseurs de la vie sauvage.
Conservation
Face au déclin de Beatragus hunteri, les défenseurs de la faune ont très vite pris des mesures de protection : dès 1963, une trentaine d’antilopes ont été transférés au Parc National de Tsavo East. Ce groupe a atteint 56 individus en 1996 et a été renforcé cette même année par l’arrivée de 29 nouveaux spécimens, ceci notamment afin d’améliorer la diversité génétique de l’espèce. En 2000, un nouveau recensement indiquait que la région comptait 77 hirolas puis, en 2011, un comptage aérien et au sol estimait leur nombre à 67.
Afin de voir les effectifs de l’espèce augmenter, l’ONG Hirola Conservation Program (HCP), créée en 2005, espère planifier de nouvelles réintroductions dans les prochaines années. Pour cela, il semble indispensable de restaurer l’habitat naturel de Beatragus hunteri, les grandes plaines dégagées. Couper des arbres ou des branches afin d’éliminer la couverture forestière et semer de l’herbe font partie des grands axes de travail de l’ONG. Des rangers doivent également être formés afin de protéger à la fois les hirolas et les éléphants, car ces derniers contribueront à maintenir l’écosystème si le braconnage est régulé. Afin de relier l’avenir de ces deux espèces, en 2015, la Journée Internationale des Hirolas a été fixée au 12 août… le même jour que celle dédiée aux éléphants !
Des groupes de terrain facilitent également la communication avec la population, qui doit être sensibilisée à la conservation de la vie sauvage. Des réunions sont organisées dans les villages et plusieurs écoles participent à un programme d’apprentissage, ce qui permet de toucher les enfants. Les bergers locaux apprennent également à cohabiter avec ces antilopes et rapportent leurs observations (comptage, localisation, mais aussi prédations ou braconnage) à l’ONG.
Enfin, en 2012, un grand sanctuaire a vu le jour afin de protéger les hirolas de leurs prédateurs : l’Hirola Community Conservancy d’Ishaqbini. Au coeur d’un projet de deux millions de dollars, ce territoire de plus de 2 700 hectares est entouré d’une large clôture, ce qui en interdit l’accès aux grands prédateurs comme les lions et les léopards. S’ils parviennent tout de même à y pénétrer, des pièges les capturent sans les blesser et les rangers les libèrent à l’extérieur du sanctuaire. 48 hirolas, soit environ 10% de la population mondiale, ont ainsi été transférés en août 2012 par hélicoptère, sans faire aucune victime : la horde vit désormais à l’abri, entourée de girafes, de zèbres, d’oryx et d’autres herbivores. En moins de quatre ans, elle a déjà doublé de taille : le 25 mars 2016, l’Hirola Community Conservancy d’Ishaqbini annonçait que cent hirolas vivaient à l’intérieur du sanctuaire. Un véritable succès ! Dans quelques années, une partie d’entre eux pourra être relâchée de l’autre côté des palissades.
Reproduction
Contrairement à certaines antilopes comme les saïgas, qui mettent bas en grands groupes, les femelles hirolas donnent la vie en s’isolant du troupeau. La naissance a lieu entre septembre et novembre, après une gestation d’environ huit mois. En général, la portée ne compte qu’un seul petit, et celui-ci sait presque immédiatement se dresser sur ses pattes et se déplacer, c’est une question de survie.
Après la naissance, les jeunes mères peuvent rester seules avec leur petit entre deux semaines et deux mois, ce qui accroît nettement le risque de prédation. Il arrive aussi qu’elles rejoignent une petite horde constituée de femelles et de nouveau-nés : celle-ci compte alors entre 5 et 40 individus et se déplace sur un territoire de 80 km² en moyenne. Les jeunes hirolas n’obtiendront leur indépendance que neuf mois après la naissance : ils quitteront alors leur troupeau pour en intégrer un autre, uniquement constitué de jeunes adultes.
Lorsque les femelles atteignent l’âge de 2 à 3 ans, elles sont matures sexuellement et rejoignent le harem d’un mâle dominant : ce dernier possède un territoire d’environ 7 km² et veille sur un troupeau de 7 à 8 femelles. Les jeunes mâles, quant à eux, ne pourront se reproduire qu’à l’âge de 4 ans, lorsqu’ils seront suffisamment musclés et imposants pour défier un mâle dominant.
En savoir plus
Le nom scientifique de l’hirola a longtemps été Damaliscus hunteri, ce qui plaçait l’espèce dans le même groupe que d’autres antilopes comme le topi (Damaliscus korrigum) ou le blesbok (Damaliscus pygargus). Sa dénomination a changé et il est désormais le seul représentant du genre Beatragus, dont l’origine remonte à trois millions d’années : si l’espèce s’éteint, cela marquera la première disparition d’un genre entier de mammifères depuis plus d’un siècle.
1 réponse to “L’hirola”
09.06.2021
TDRevue très complète et très bien écrite.
Bravo !