
La Cigale avait chanté tout l’été. A présent, les premières neiges tombaient, l’hiver affleurait et son estomac gargouillait ! Que pouvait faire l’affamée, sinon aller frapper chez la Fourmi ? Cette amie de longue date, ouvrière et travailleuse, serait sans doute charitable.
Ainsi, par une matinée de décembre, la Fourmi trouva sa voisine sur le pas de sa porte. – Pouvez-vous me prêter quelques grains pour subsister jusqu’au printemps ? lui demanda la Cigale. Je n’ai rien à me mettre sous la dent !
La Fourmi lui répondit d’un regard noir. Le message était clair : c’était bien fait pour elle ! La Cigale s’apprêtait à repartir penaude lorsque son amie lâcha un profond soupir. Son visage s’adoucit et ses épaules s’affaissèrent de fatigue.
– Je vous en donnerais avec plaisir mais mes placards sont vides.
– Vides ? fit la Cigale. Mais vous avez travaillé tout l’été !
– Ne voyez-vous rien ? Les forêts brûlent, les rivières sont polluées, les océans sont couverts de plastique, l’air est empoisonné. Partout, les animaux s’éteignent. Où pourrais-je trouver de quoi me nourrir ?
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La Cigale resta muette. Si la Fourmi criait famine, la situation était critique.
Généreuse malgré les manques, la Fourmi invita son amie à passer l’hiver en son antre. Décembre serait interminable mais, en ces temps difficiles, une présence amicale était un atout considérable.
Puis, en janvier, quelque chose changea. Comme une odeur, une vibration qui s’évanouit subitement. La Cigale et la Fourmi ne comprirent pas tout de suite de quoi il s’agissait, mais nous autres humains le savions : la Chine était en confinement à cause d’une pandémie. En février, la crise se propagea. Europe, Amérique, Afrique, Océanie : tous les continents furent touchés. Les transports cessèrent de transporter, les mines de miner, les usines d’usiner. En un mot, l’Homme cessa de polluer. Une planète à l’arrêt.
A l’arrêt ? Que nenni ! L’air était plus pur, les eaux plus claires, les nuits plus sombres. A Venise, des bancs de poissons réapparurent dans les canaux auparavant vaseux. Dans les Calanques, dauphins et rorquals nageant paisiblement furent observés au large de Marseille. Au Brésil, les tortues purent éclore et rejoindre la mer sans être braconnées. Partout, la nature s’épanouissait.
La Cigale et la Fourmi trouvèrent de quoi survivre dès le mois de février. En mars, elles purent faire des réserves. En avril, ce fut l’opulence.
Puis le confinement fut levé. Au début, ce ne fut rien. Le retour d’une odeur, d’une vibration à peine perceptible dans l’air. Mais quand la Cigale croisa le regard de la Fourmi, elle vit la même question dans les yeux de son amie : auraient-elles à manger l’hiver prochain ?
1 réponse to “La Cigale et la Fourmi en 2020”
20.05.2020
MARC GUILLEZC est malheureusement la triste realite