La famille des papillons Pararge compte trois espèces :
- Pararge aegeria, le Tircis, une espèce de papillon très commune notamment en France ;
- Pararge xiphioides, le Tircis canarien, qui vit sur les îles Canaries ;
- Pararge xiphia, le Tircis madérois, sur laquelle porte notre fiche.
Présentation du papillon
Les trois espèces de Tircis présentent des physiques très semblables. Il s’agit de papillons brun foncé de taille moyenne (50 à 60 millimètres d’envergure pour le Tircis de Madère) dont les extrémités des ailes sont couvertes de taches jaune-orangé rondes ou carrées. Sur certaines de ces taches, les papillons possèdent des ocelles : des cercles noirs avec en leur centre un point blanc. On pourrait penser que ces points noirs sont disposés au hasard mais ce n’est pas le cas ; c’est d’ailleurs l’un des signes distinctifs du Tircis madérois. Si ses cousins Pararge xiphioides et Pararge aegeria possèdent trois ocelles sur l’aile postérieure, lui n’en présente que deux. En revanche, les trois espèces ont bien un unique ocelle sur l’aile antérieure. Autre signe distinctif pour reconnaître le Tircis madérois, ses ailes antérieures sont de forme plus convexe que ses congénères et ont une bordure brune, là ou les deux autres papillons possèdent des taches orangées. Enfin, on peut distinguer une marque blanche en bordure de chaque aile antérieure quand il les replie légèrement. Les reconnaître reste donc assez technique, nous voulons bien vous l’accorder !
Localisation
Le Tircis madérois est observable uniquement à Madère, archipel portugais situé dans l’océan Atlantique, entre le Portugal et le Maroc. Madère est à la fois le nom de l’archipel et de son île principale, dont est endémique Pararge xiphia. Cet insecte est visible toute l’année sur son aire de répartition mais en plus faible nombre durant l’été.
Son habitat est constitué de forêts de lauriers et de châtaigniers jusqu’à 1 000 mètres d’altitude. De manière générale, les trois espèces de Tircis sont des papillons de forêt. La traduction française de leur nom anglais est d’ailleurs « les papillons mouchetés des bois. »
Reproduction
Comme plusieurs insectes, les papillons traversent un cycle de vie de plusieurs phases successives : l’œuf → le stade larvaire (la chenille) → la chrysalide (la nymphe) → le jeune papillon → le papillon adulte.
La femelle Pararge pond ses œufs sur les feuilles d’une plante hôte. Après une dizaine de jours d’incubation, une chenille sort de l’œuf : elle est alors au stade larvaire. Pour grandir et se métamorphoser au stade supérieur, la chenille passe son temps à manger. Elle se nourrit d’abord de l’œuf qui l’a abritée puis des feuilles de la plante hôte sur laquelle il a été pondu. Durant ce stade larvaire, la chenille mue de nombreuses fois et grandit de manière progressive. Au bout d’un mois environ, la larve tisse un cocon et se transforme alors en chrysalide. Une fois la métamorphose terminée, le papillon sort de son cocon. Il lui faut cependant quelques heures avant de pouvoir voler : son exosquelette (squelette externe) étant mou, il doit attendre que celui-ci durcisse pour prendre son envol.
On ne sait pas grand-chose du comportement sexuel de Tircis madérois mais il se rapproche sans doute beaucoup de celui de Pararge Aegeria chez qui la lumière tient un rôle prépondérant. En effet, les mâles papillons attendent sur une feuille qu’une femelle passe dans une trouée de lumière. Ce n’est qu’à ce moment que le mâle se met à sa poursuite pour la féconder. Le territoire de chaque mâle correspond donc à une trouée de lumière. Si un autre mâle vole à travers, un combat se produit forcément. Les femelles se déplacent quant à elles dans tout le sous-bois et n’ont pas de territoire particulier.
Menaces
Des trois espèces de papillons du genre Pararge, le Tircis de Madère est le seul à être une espèce menacée. Il est classé en danger d’extinction par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).
La cause de déclin la plus importante de Pararge xiphia est la concurrence du Tircis continental, Pararge aegeria, sans doute introduit accidentellement par l’Homme sur Madère où il ne vivait pas dans le passé. Il a été vu pour la première fois sur l’île en 1976 puis a proliféré jusqu’à devenir très commun. La concurrence avec le Tircis madérois n’a pas lieu à l’âge adulte mais au stade larvaire, quand les papillons ne sont encore que chenilles. Les deux espèces utilisent les mêmes plantes hôtes, des graminées, pour déposer leurs œufs : le Brachypode des bois, la Houlque laineuse et l’Agrostide géante.
Les œufs des deux espèces éclosent sensiblement au même moment et cherchent donc à se nourrir de la même plante hôte, ce qui entraîne inévitablement une concurrence. Pour survivre, les deux chenilles doivent donc trouver de nouvelles plantes pour se nourrir. Un voyage périlleux pendant lequel bon nombre de larves périssent, mangées par des prédateurs ou trop faibles pour achever leur parcours. D’après une étude de 2004, les chenilles du Tircis de Madère sont deux fois plus grandes à l’éclosion que celle du Tircis continental pourtant leur développement est beaucoup plus lent ! Tandis que la chenille de Pararge xiphia peine à atteindre une nouvelle plante hôte, celle de Pararge aegeria avance beaucoup plus vite.
Autre différence, la femelle Tircis madérois pondrait moins d’œufs que celle de l’espèce concurrente et, surtout, les disperserait davantage. L’espèce serait donc moins habituée à se battre pour trouver des plantes nourricières tandis que les chenilles du Tircis continental sont plus accoutumées à cette compétition.
La disparition du Tircis de Madère tiendrait donc plus à ses difficultés à s’adapter à cette compétition qu’à la compétition elle-même.
Effort de conservation
Bien que menacée, l’espèce Pararge xiphia n’est pas protégée légalement. Son déclin étant récent, à notre connaissance rien n’a encore été mis en place pour conserver l’espèce. L’UICN considère que des recherches supplémentaires doivent être menées sur la répartition des deux Tircis sur l’île de Madère.
La conservation des papillons est encore à ses balbutiements en Europe. Le premier programme de surveillance dédié à ces insectes a été créé au milieu des années 1970 au Royaume-Uni : le Butterfly Monitoring Scheme. Depuis, une dizaine de pays a instauré un programme similaire dont le but est de suivre les populations de papillons et d’identifier leurs menaces.
NDLR : un grand merci à Hervé Gimenez qui nous a permis d’utiliser ses photos du Tircis madérois pour cette fiche.
1 réponse to “Le Tircis madérois”
05.09.2023
Jean-Michel DrezenBonjour Cecile Arnoux,
D’abord un grand merci pour cet article très clair et très bien documenté sur les différentes espèces de Tircis.
Nous avons débuté un projet de recherche financé par l’agence française de recherche ANR pour étudier en particulier un virus dont l’ADN s’est intégré dans le génome des Tircis collectés en Grande Bretagne et en France à la suite d’une épidémie relativement récente. Il est possible que cette épidémie n’a pas encore touché les Tircis de l’espèce Pararge aegeria invasifs de l’île de Madère du fait de son isolement. Si on ne trouve pas l’ADN de ce virus dans les Tircis invasifs de Madère cela nous permettrait de déduire que l’épidémie a débuté sur le continent après 1976. En revanche si le virus est présent il pourrait contribuer à la raréfaction de l’espèce endémique en effet il y a de nombreux exemples ou le remplacement de l’espèce endémique se fait par l’intermédiaire d’un pathogène auquel l’espèce invasive est moins sensible que l’espèce autochtone (écureuil roux supplanté par l’écureuil gris américain en Angleterre, chute des Incas induite par la rougeole…). Pourriez vous nous aider à répondre à ces questions en nous mettant en contact avec un collecteur de papillons à Madère capable d’échantillonner sélectivement Pararge aegeria, et sans dommage pour l’espèce endémique de Tircis? Savez vous si de manière similaire la date de l’introduction de Pararge Aegeria aux Canaries est connue dans ce cas nous pourrions mener une étude similaire aux Canaries?
En vous remerciant…
Bien cordialement,
J-M D