Douaniers soudoyés, pêche illégale sous couvert de pêche scientifique, pots de vin versés aux policiers pour éviter toute inspection… Les combines pour continuer de pêcher illégalement des esturgeons – pourtant très menacés – ne manquent pas.
Il faut dire que le jeu en vaut la chandelle pour toutes les parties prenantes de ce très lucratif commerce du caviar. Car l’origine « sauvage » de ces œufs non fécondés de poissons – récoltés sur les femelles après leur éventration – fait grimper les prix en flèche.
Surtout depuis que la majorité du caviar provient de fermes d’élevage. D’après la CITES, 95 % du caviar légal produit entre 2000 et 2015 est issu de l’aquaculture. Plus rare, le caviar sauvage est donc devenu aussi plus cher, ce qui a encouragé certains négociants à contourner les règles internationales. Au mépris des menaces qui pèsent sur ces poissons.
Tous les esturgeons menacés d’extinction
Le caviar provient principalement des esturgeons, dont les 27 espèces existantes dans le monde sont toutes classées en tant qu’espèces menacées par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). En effet, des années de pêche intensive ont conduit la plupart d’entre elles au bord de l’extinction.
C’est le cas par exemple du béluga ou grand esturgeon (Huso huso), dont les populations ont été décimées, notamment dans les années 1970. Il faut dire que son caviar est particulièrement recherché et cher : il s’échange environ 10 000 € le kilo ! De quoi attiser pas mal de convoitise.
Idem pour l’esturgeon commun (Acipenser sturio). Autrefois très répandu dans les fleuves d’Europe, il est désormais lui aussi en danger critique et ne vivrait désormais plus que dans un estuaire de la Gironde. Sa pêche a été interdite en 1982 en France, mais sa population a continué de diminuer au fil des ans.
L’esturgeon russe (Acipenser gueldenstaedtii) est également l’un des plus menacés par le commerce du caviar. Classé « en danger critique », ce poisson a perdu 90 % de sa population en l’espace de 45 ans seulement.
Et les exemples sont nombreux puisque sur les 27 espèces d’esturgeons existantes, 16 sont considérées comme « en danger critique » (CR). Il s’agit de la dernière étape avant l’extinction à l’état sauvage.
Un commerce gangrené par la corruption
Au fil des décennies, les stocks d’esturgeons se sont faits de plus en plus rares. Pour éviter leur disparition, la CITES a décidé d’agir il y a déjà 21 ans en instaurant différentes règles et quotas sur leur pêche.
Seulement, cela n’a pas empêché les pratiques illégales de se poursuivre. D’importants réseaux illégaux se sont développés, attirés par la cherté de ce produit qu’est le caviar sauvage. Pour perdurer, ces réseaux organisés ont usé abusivement de la violence et de la corruption, se mettant ainsi à l’abri des réglementations internationales.
C’est justement ce que dénonce le rapport publié le 13 février par l’ONG TRAFFIC, WWF et U4 Anti-Corruption Resource Center, en partenariat avec l’université de Northumbria au Royaume-Uni et l’université d’Utrecht aux Pays-Bas. La corruption alimente non seulement les prélèvements mais aussi la vente illégale de caviar, ce qui accélère la disparition des espèces concernées.
Certains négociants ont par exemple recouru à une pratique illégale consistant à étiqueter en tant que « caviar sauvage » du caviar issu de l’élevage ou à mentir sur l’espèce dont sont véritablement issus les oeufs. Et ce, dans le seul but de pouvoir gonfler les prix auprès du consommateur final.
Plus grave, la corruption a permis de renforcer le braconnage d’esturgeons sauvages. Le rapport révèle par exemple que des pêcheurs soudoient des policiers pour ne plus avoir à déclarer les poissons capturés illégalement. D’autres utilisent des permis scientifiques pour pêcher des esturgeons menacés en mer Caspienne et dans la Volga. Et bien d’autres mécanismes pourraient encore exister mais n’ont, pour l’heure, pas encore été découverts.
Quelles solutions pour lutter contre cette corruption ?
Éradiquer cette corruption est essentielle pour lutter contre la disparition de ces animaux menacés. « La corruption nuit à la conservation puisqu’elle atténue l’efficacité des programmes de sauvegarde, affaiblit le pouvoir de la loi et des soutiens politiques, tout en favorisant la surexploitation des ressources », note le rapport.
Pour les auteurs, il faut avant toute chose découvrir tous les mécanismes de corruption existants. Le soutien d’autorités ayant travaillé sur d’autres formes de corruption pourra par exemple aider à repérer des canaux de financements suspects, puis à instaurer des mesures en conséquence.
Ils préconisent également de renforcer les contrôles dans le secteur de l’aquaculture et de la pêche avec, notamment, des publications régulières quant à la traçabilité et la transparence des revenus issus de ces activités.
par Jennifer Matas
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