Cet oiseau originaire de l’île de Guam a eu un parcours incroyable. Comme le fuligule de Madagascar et le condor de Californie, il a été déclaré officiellement éteint dans la nature, jusqu’à ce qu’il fasse son grand retour. S’il revient de loin, le râle de Guam n’est toutefois pas encore sorti d’affaire et reste « en danger critique » d’extinction (CR).
Description du râle de Guam
Les locaux l’appellent ko’ko, les scientifiques Hypotaenidia owstoni et on a aussi pu trouver sous la dénomination Gallirallus owstoni. Cet oiseau appartient à la famille des rallidés, au même titre que les autres espèces de râles mais aussi les foulques ou encore les poules d’eau.
Caractéristiques physiques
Adulte, le râle de Guam mesure environ 28 cm de long et autant de haut, et pèse entre 170 et 350 grammes. Il arbore des couleurs brunes sur le dessus du corps et grises en dessous, alternant avec des stries noires et blanches au niveau du cou et de la poitrine et l’abdomen. Une bande blanche cernée de noir surplombe ses yeux rouge foncé de part et d’autre de sa tête. Le bec est droit, de longueur similaire à celle de la tête et de couleur noire.
Toutes ces caractéristiques ne varient pas selon qu’il s’agit d’un mâle ou d’une femelle. Un léger dimorphisme sexuel toutefois, au niveau de la taille : les femelles sont en effet un peu plus petites et légères que les mâles.
Un oiseau incapable de voler
L’une des caractéristiques les plus remarquables chez le râle de Guam, c’est qu’il s’agit d’un oiseau qui ne peut pas voler. Il n’est pas le seul dans ce cas : les kakapos, ces gros perroquets endémiques de Nouvelle-Zélande, en sont incapables également, tout comme les manchots, les autruches ou encore les casoars.
Plus précisément, le râle de Guam peut voler, mais sur de très courtes distances. Ses ailes courtes ne lui permettent en effet de faire qu’un à trois mètres de vol sans jamais s’éloigner beaucoup de la terre ferme.
S’il reste cloué au sol, le râle de Guam s’avère être en revanche un animal très rapide. Son corps étroit et ses pattes longues et solides lui permettent de se déplacer vite dans les hautes herbes et les sous-bois. Il est même capable de nager et de plonger !
Régime alimentaire
Le râle de Guam est un oiseau omnivore, c’est-à-dire qu’il mange un peu de tout. Il se nourrit tout aussi bien d’animaux comme des escargots, des limaces, des insectes et même des geckos que de plantes, graines, fleurs et autres matières végétales.
Il trouve sa nourriture dans plusieurs types d’habitats, des prairies aux zones agricoles en passant par la forêt. Cette espèce joue d’ailleurs un rôle essentiel dans le maintien des milieux forestiers puisqu’elle disperse les graines des fruits et plantes dont elle se nourrit et contribue ainsi au renouvellement des arbres. Avec sa disparition, l’île de Guam a vu sa couverture forestière diminuer tandis que les populations d’araignées ont explosé, en l’absence d’oiseaux insectivores pour les réguler.
Habitat
Originellement, le râle de Guam est un oiseau endémique de l’île du même nom, l’île de Guam. Avant son déclin, il y était assez répandu mais a complètement disparu de son milieu dans les années 1980.
Cette île – rattachée politiquement aux Etats-Unis en tant que « territoire non incorporé organisé des Etats-Unis » – se situe dans la mer des Philippines, en plein dans le Pacifique. Très au Nord se trouve le Japon, à l’Ouest les Philippines et au plus au Sud la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il s’agit d’un petit territoire d’une superficie de 550 km² et très isolé.
Depuis son retour à la vie sauvage, le râle de Guam vit désormais sur deux îles voisines : l’île des Cocos et l’île Rota. L’île des Cocos est un petit bout de terre – bien plus petit que l’île de Guam avec seulement 1,6 km de long, 300 m de large et une superficie totale de moins d’une quarantaine d’hectares – et situé juste à côté de celle-ci, à la pointe Sud-Ouest. Moins de 3 km les séparent.
L’île Rota est en revanche un peu plus éloignée et se trouve à une cinquantaine de kilomètres au Nord-Est de l’île de Guam. Elle fait partie de l’archipel des îles Mariannes et sa superficie est de 85 km².
Menaces
Autrefois, il n’était pas rare d’entendre le chant – ou plutôt le cri strident – du râle de Guam en se baladant dans les forêts de l’île. Cet oiseau était même plutôt commun : avant les années 1960, on en comptait encore entre 60.000 et 80.000. Pourtant, il a suffi de quatre décennies pour qu’il s’éteigne, avant de refaire son apparition trente ans après son extinction grâce à un programme de reproduction.
Introduction d’espèces exotiques
La principale raison pour laquelle le râle de Guam a disparu dans la nature dans les années 1980, c’est l’introduction du serpent brun arboricole (Boiga irregularis) dans son milieu naturel. L’espèce est arrivée accidentellement à la fin de la seconde guerre mondiale, probablement à bord d’un navire militaire.
Ce nouveau prédateur s’est reproduit et a proliféré – on en compte 1 à 2 millions aujourd’hui sur l’île –, s’attaquant sur son passage aux œufs et juvéniles du râle de Guam mais aussi à ceux d’une dizaine d’autres espèces endémiques d’oiseaux. A partir de ce moment, le râle de Guam a commencé à décliner jusqu’à l’extinction. C’est d’ailleurs ce serpent qui a tué le dernier individu vivant à l’état sauvage, en 1987.
A noter que le chat domestique (Felis silvestris catus) est lui aussi un prédateur redoutable du râle de Guam. Ce chasseur expert a proliféré sur l’île de Guam et donc participé au déclin d’Hypotaenidia owstoni. Son inaptitude à voler à fait de cet oiseau une proie extrêmement facile à attraper pour ces prédateurs terrestres.
L’introduction d’espèces allochtones – inverse d’indigènes – se transforme en un véritable fléau pour la faune et la flore endémiques lorsqu’elles deviennent envahissantes. C’est particulièrement vrai pour les espèces insulaires, c’est-à-dire qui vivent sur des îles petites et isolées géographiquement, car elles ne peuvent fuir pour s’établir sur un nouveau territoire. Perdue en plein océan Pacifique, l’île de Guam correspond tout à fait à cette description.
Le cas du râle de Guam n’est donc pas une exception et de nombreuses autres espèces insulaires ont décliné après l’arrivée d’espèces envahissantes, comme par exemple l’iguane des Petites Antilles. De façon plus générale d’après une étude publiée dans Science Advances en octobre 2017, les milieux insulaires abritent une part importante de vertébrés menacés. Ainsi, si seulement 5 % des vertébrés de la planète vivent sur des îles, 41 % des vertébrés en grand danger d’extinction appartiennent à ce milieu ! Et selon les chercheurs, la première menace qui pèse sur eux est l’apparition d’espèces invasives.
Aire de répartition restreinte
Les populations installées aujourd’hui sur l’île inhabitée des Cocos et sur Rota ne devraitent pas subir les menaces de prédation du serpent brun arboricole et du chat domestique. En revanche, l’espèce reste soumise à d’autres types de menaces. La plupart sont d’ailleurs liées directement à la taille de son habitat.
En effet comme le rhinocéros de Java, les derniers représentants de l’espèce dans la nature vivent sur un territoire de taille restreinte : l’île des Cocos et sa voisine l’île Rota. Si une catastrophe climatique ou un incendie venait frapper ces îles, cela menacerait directement la survie de ces derniers individus. Ces deux menaces sont actuellement les plus susceptibles de nuire à l’avenir de l’espèce.
Autre risque à évaluer : l’activité humaine sur ce territoire. L’urbanisation et le développement du tourisme pourraient également porter préjudice au râle de Guam, en dégradant ou en transformant complètement l’écosystème dans lequel il a trouvé sa place.
Cette inquiétude est particulièrement forte à Rota où le tourisme est déjà très présent.
Efforts de conservation
L’avancée est incroyable pour cette espèce déclarée éteinte en 1994 par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et considérée comme « en danger critique » depuis 2019. Peu d’espèces menacées réussissent cet exploit de quitter la catégorie « éteinte dans la nature ». Pour le râle de Guam, tout a reposé sur un programme de reproduction en captivité de longue haleine et qui a fini par porter ses fruits.
Programme de reproduction en captivité
Tout commence au début des années 1980. Face au déclin rapide du râle de Guam, des biologistes du département des ressources aquatiques et fauniques de l’île décident de créer un programme de reproduction en captivité. Ils capturent les 21 derniers individus et s’attèlent à les reproduire dans un centre dédié sur l’île de Guam ainsi que dans 11 zoos américains.
Mais la reproduction de cette espèce très territoriale s’avère plus compliquée que prévue. S’ils ne s’apprécient guère, les partenaires choisis peuvent devenir agressifs l’un envers l’autre. Les chercheurs ont donc dû améliorer les méthodes de mises en contact pour former des couples compatibles génétiquement, mais aussi au niveau de leur caractère.
Grâce aux premières naissances obtenues en captivité, des réintroductions sont possibles dès la fin des années 1980. Les premières ont lieu en 1989 et en 1990 sur l’île Rota et se soldent par un succès plutôt mitigé avec des oiseaux qui se dispersent loin les uns des autres et plusieurs décès suite à des collisions routières. Puis en 2010, seize oiseaux sont relâchés sur l’îlot des Cocos, suivis de dix autres deux ans plus tard, en 2012. En 2017, de nouveaux relâchés ont eu lieu à Rota avec la réintroduction de 49 individus.
Habitat naturel sûr
Bien entendu, il ne sert à rien de reproduire le râle de Guam pour le réintroduire dans le milieu qui l’a vu disparaître si les conditions de son extinction restent les mêmes. Raison pour laquelle la deuxième étape de ce programme de reproduction en captivité a consisté à trouver un nouvel habitat pour l’espèce.
« Le rétablissement du râle de Guam est une preuve fantastique de l’efficacité des mesures de conservation ciblées. Il est cependant important de se rappeler que toutes les espèces ne peuvent pas être sauvées du précipice, surtout si leur habitat naturel a été détruit », déclare ainsi Dr. Ian Burfield, coordinateur scientifique mondial pour les espèces à BirdLife International.
A cause de la difficulté à éradiquer le serpent brun arboricole de l’île de Guam, les biologistes se sont donc tournés vers un site de réintroduction dépourvu de serpent. Leur choix s’est alors porté sur deux sites sans serpents : l’île Rota, puis sur celle des Cocos. Cette dernière a été choisie avec beaucoup d’attention. Avant d’y réintroduire l’espèce, il a fallu éradiquer tous les rats du territoire, améliorer l’espace forestier en ajoutant des arbres indigènes et s’assurer qu’elle y trouverait toute la nourriture suffisante pour s’établir durablement.
Les biologistes n’excluent cependant pas l’idée de faire revenir un jour le râle de Guam sur son île d’origine, et poursuivent donc leurs efforts de reproduction en captivité en vue de nouvelles réintroductions.
Une population qui augmente
La réintroduction du râle de Guam est aujourd’hui considérée comme un succès puisque des couples se sont formés et des reproductions ont eu lieu, aboutissant à la naissance de nouveaux oisillons. Aujourd’hui, on estime que le râle de Guam s’est établi partout sur l’île des Cocos et semble-t-il en divers endroits de l’île Rota.
Si on ignore précisément combien de râles de Guam il existe dans la nature, l’UICN estime officiellement la population sauvage à moins d’une cinquantaine d’individus matures à l’heure actuelle sur l’île des Cocos. A Rota, ils pourraient être environ 200. Et la tendance devrait croître encore.
En tout cas, l’espoir existe. « Bien qu’il n’y ait pas de données de population à partir desquelles estimer une tendance, des preuves de reproduction ont été observées et l’oiseau est maintenant sur toute l’île, de sorte que la taille de la population devrait augmenter », note l’ONG BirdLife.
Reproduction du râle de Guam
Bonne nouvelle pour l’avenir de l’espèce, le râle Guam atteint la maturité sexuelle relativement tôt : vers l’âge de 5 mois. Et puis, mâles et femelles se reproduisent tout au long de l’année, avec une période plus charnière à l’occasion de la saison de pluies, de juillet à novembre.
Une fois qu’ils se sont trouvés, les deux partenaires construisent ensemble un nid en prévision de la ponte. Pour cela, ils le bâtissent au sol, sur un sol sec et camouflé entre les hautes herbes. Le nid est peu profond et sera protégé à tour de rôle par le mâle et la femelle.
Après l’accouplement, la femelle pond entre 1 et 5 œufs. Ceux-ci éclosent dans les trois semaines qui suivent la ponte. Les oisillons tout juste nés n’ont pas à apprendre à voler pour suivre leurs parents. Ils quittent donc le nid rapidement, dans les 24 heures qui suivent l’éclosion, pour accompagner leurs parents à la recherche de nourriture.
L’espérance de vie du râle de Guam diffère selon le sexe. Il semblerait que les femelles aient une espérance de vie plus courte : moins de 6 ans contre 10 ans pour les mâles.
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